copyright 2003 Anne
Lauwaert
-« Non d’une
pipe, ça n’est tout de même pas sorcier ! - s’exclama le Ministre de
la Santé Publique du Gouvernement Mondial – on leur donne de quoi vivre
relativement en paix, se nourrir, se
vêtir, se loger, s’amuser et même, pour les plus tordus, de quoi s’instruire... mais si d’un autre
côté ils n’arrêtent pas de faire treize gosses à la douzaine on va avoir de la
surpopulation... Vous, John, qu’en dit votre ministère ? »
-« Le ministère
des constructions, travaux, ponts et chaussées est tout aussi embêté que vous,
cher collègue... plus on construit, plus il y a des sans abris car moins il en
meurt de froid ou noyés dans les cyclones ou emportés par les tsunami... »
-« Nous aussi,
on est très embêtés – dit le ministre de
l’agriculture – mon collègue des travaux publics, ici présent, grignote,
grignote... d’ici peu on n’aura plus que les talus le long des autoroutes et la
berme centrale pour faire paître nos vaches et les balcons des HLM pour semer des
carottes et les toits plats pour cultiver du riz ou des patates... »
-« Mais il faut
les occuper, mon vieux ! – rétorqua le ministre des travaux – ils doivent
faire quelque chose... Vous vous rendez compte de la pagaille si tous ces
gens-là, on ne les occupe pas ? On ouvre des chantiers, on les ferme, on
les rouvre, le plus possible, on engage le plus possible... Tous ces types
rentrent chez eux crevés le soir et ne pensent plus à procréer... C’est de la
régulation des naissances indirecte... »
-« Oui mais nos
champs, nos prés, nos bois... »
-« Nous avons
amorcé le tournant, mais un peu de patience, que diantre... D’abord on va
creuser des tunnels partout et des métros souterrains et enterrer toutes les
voies de communication et toutes les lignes électriques et téléphoniques et
tous les câbles TV, haute tension, etc. et la terre qu’on aura récupérée on va
l’étendre sur les routes et autoroutes actuelles... Et c’est là que vous
intervenez, mon cher collègue, avec vos tracteurs et vos semeuses... renaturalisation
intégrale et bio... »
-« Et les HLM,
et les building et les tours ? vous en faites quoi de ces
horreurs ? »
-« Troisième
phase... là aussi : on enterre tout... Voyez toutes ces montagnes inutiles
et bien on va les vider et les remplir de flats et de duplex, ce qui résout
même le problème du chauffage en hiver et du conditionnement en été car sous
terre il ne fait jamais ni chaud, ni froid, 12°C garantis, toute l’année, il
suffit de quelques panneaux solaires et c’est les Bahamas à temps plein... »
-« Tout de même
on ne respire pas fort bien... »
-« Vous avez
votre bombonne d’eau potable ? et bien vous allez avoir votre bombonne
d’oxygène... grâce aux pet... »
-« Et les
détritus, les matériaux d’excavation ? »
-« Pas de
détritus, on dynamite les villes existantes et puis on les recouvre du matériel
de vidange des montagnes... »
-« Excellent !
– s’exclama le ministre des sports – C’est les alpinistes qui vont être
contents ! de nouvelles cimes à conquérir, de nouvelles parois à gravir...
extra, extra... en plus de nouvelles pistes de mountain bike... sans oublier
les domaines skiables !!! Bravo mon vieux, vous allez sûrement être
réélu ! »
-« Cela ne
résout pas le problème de base ... revenons à nos moutons... - insista le
ministre de la santé publique – qu’est ce qu’on va faire de la
surpopulation ? »
-« Des amendes
pour ceux qui n’emploient pas de capotes anglaises, somme toute c’est comme
brûler un feu rouge... »- suggéra le commissaire de police en chef.
-« Les feu
rouges sont surveillés par des cameras cachées... les maisons aussi, mais
l’intérieur des lits, sous les couvertures... cela présente encore des
difficultés techniques... surtout si les couvertures sont en matière
synthétique... ça brouille ... ça rend l’image floue... »
-« Et puis,
allez donc savoir ce qui se passe dans les parcs, les buissons... »
-« Coupez tous
les buissons, mettez des bouquet de cameras cachées à leur place... les rayons
lumineux dans les fibres optiques, c’est si joli... »
-« Il y en a
déjà tant de caméras cachées que les cameras filment les cameras qui les
filment... »
-« Ajoutez un
nouvel impulse dans le microchip individuel, via satellite, c’est pas
compliqué... un réflexe erection-capote... »
-« J’y ai déjà
pensé, mais que faire en cas d’érection sauvage ? Vous êtes en pleine
réunion, vous voyez les jambes de la secrétaire d’un autre... on ne peut tout
de même pas couper les jambes de toutes les secrétaires... C’est pour leurs
jambes qu’on les engage... »
-« Ajoutez un
réducteur de libido dans l’eau potable... »
-« Tout ça c’est
déjà fait : 10% des hommes sont déjà stériles grâce à la cigarette,
10% grâce aux additifs alimentaires, 10%
des enfants ont déjà des problèmes respiratoires grâce à la pollution de
l’air... »
-« Non, non, je
pensais, d’ajouter un stérilisateur dans l’eau potable... »
-« Mon Dieu,
quelle horreur ! Mais vous êtes staliniste ! C’est
scandaleux ! - s’écria l’aumônier – le Bon Dieu a dit d’aller et de
vous multiplier !... »
-« Oui, mais à
l’époque le Bon Dieu, il n’a pas prévu que les antibiotiques allaient foutre la
sélection naturelle en l’air ! »- rétorqua un sous-secrétaire
acariâtre qui en avait marre des mesures et contre mesures parce que c’était
lui qui devait dactylographier les rapports.
-« Mon jeune ami
– reprit l’abbé avec un sourire condescendant – cela n’est pas seulement une
question de théologie... il faut des forces vives qui travaillent pour garantir
le financement des pensions... mais oui, aussi la vôtre... »
-« Aaaah, ça...
Monsieur l’abbé... – intervint un économiste qui portait une superbe cravate –
je ne serais pas aussi catégorique... n’oubliez pas qu’actuellement avec une
seule machine on fait le boulot de dix et même cent personnes... donc on peut
réduire la population de cent fois... »
-« Exact – dit
une représentante très terre à terre d’un des mouvements de libération de la
femme – là où le bât blesse c’est dans la distribution des charges et des
bénéfices : au lieu de donner un peu de travail et un peu de
rémunération à tout le monde il y en a
quelques uns qui travaillent comme des nègres, d’autres empochent le fric et
les autres sont au chômage. On paye des sommes folles aux top-manager pour
qu’ils mettent les entreprise en faillite et les autres n’ont plus un rond pour
consommer... le pognon il faut que ça roule !»
-« Mais ils vont
finir par se rebeller et refaire la révolution, 1789 bis... »
-« Mais non, on
leur fournit la télé, le foot, le club med, les joints et les shoots ... que
voulez vous de plus de la vie ? »
-« Un moment –
dit le représentant du ministère de l’égalité des chances – il y a ceux qui
aiment travailler, et ceux qui n’aiment pas travailler... on ne peut tout de
même pas priver les citoyens du plaisir au travail... et bien que ceux qui
aiment travailler travaillent pour les autres avec... »
-« Bonne proposition !
que ceux qui ont envie de travailler jusqu’à leur mort puissent travailler
jusqu’à ce qu’ils tombent raides, ça fera de la place dans les homes et les
seniories et que les autres arrêtent
quand ils ont envie d’arrêter... c’est ça la démocratie. Le seul problème c’est
de pouvoir tenir tout sous contrôle pour qu’on n’empêche pas de travailler ceux
qui en ont envie. Gare aux syndicats... »
-« Là, on est en
bonne voie. Heureusement qu’on a commencé tout de suite cette campagne
d’installation du microchip dans les chiens et les animaux
domestiques... » - dit le ministre de la sûreté.
-« Qu’est ce que
c’est que ce microchip ? »
-« Les puces,
mon vieux, secouez-vous : ça fait des années qu’on implante des puces dans
les bébés... »
-« Ah, bon...
oui, oui, je savais bien, mais je n’y ai jamais pensé plus que ça... et elles
font quoi exactement vos puces ? »
-« Elles font à
peu près tout... elles servent de carte d’identité, de fichier médical, de
numéro de sécurité sociale, de clé électronique pour entrer dans les
entreprises, les banques ou les supermarchés... »
-« Ah bon...
c’est déjà fort élaboré... »
-« Mais oui,
maintenant on en est à leur donner des impulsions via satellite... »
-« Par
exemple ? »
-« Mais tous les
genres... par exemple ces imbéciles de
Palestiniens qui se chamaillent constamment avec ces idiots d’Israéliens... les
Tutsi et les Hutu... les Flamands et les Wallons... fini tout ça, d’ici peu on
enverra un impulse via satellite sur leur microchip et au lieu de se jeter des
bombes et des cocktails Molotov ils vont se jeter dans les bras l’un de
l’autre... C’est pas votre parti qui voulait faire l’amour au lieu de
faire la guerre ? »
-« Hé là !
doucement... n’oubliez pas l’objet de notre symposium, c’est à dire la
surpopulation... »
-« Mais alors,
les puces, dans le sens contraire ça
fonctionne aussi ? Par exemple les Portoricains qui s’entendent bien avec
les Cubains, il suffirait d’un impulse pour qu’ils s’entretuent... »
-« Mais allons,
cher confrère, où allez-vous chercher
ces idées diaboliques... ? Ne sommes-nous pas les prêtres de la Paix
Universelle ? »
-« Oui, bien
sûr, vous avez raison... mais tout de même ... je me demande... et qu’est ce
qui se passe avec les indigènes qui naissent dans la forêt vierge... comment
est ce qu’on va leur implanter des puces ? »
-« D’abord la
forêt vierge d’ici peu il n’y en aura plus du tout, ensuite ces gens vivent
très heureux comme ça, ils n’ont même pas besoin de numéro de sécurité
sociale. Ils ne payent d’ailleurs pas de contributions puisque pour être
citoyens ils seraient contraints de renoncer à leur état naturel qui comprend
déjà toutes espèces de tiques, amibes et bilharziose... vous ne voudriez pas y
ajouter des puces ?»
-« Comment ça
ils ne sont pas citoyens ? »
-« Mais non...
pas de puce, pas de carte d’identité, pas de fichier... et pas d’impôts non plus puisque vous n’êtes pas
propriétaire... c’est pas compliqué tout de même, réveillez-vous mon
vieux... »
-« Comment ça
ils ne sont pas propriétaires... et les ressource de leur sous –sol... l’or,
l’uranium, le coltan, les diamants, le pétrole, l’eau potable... tout ça ... ça
appartient à qui tout ça ?... »
-« Mais tout
cela appartient aux compagnies qui assument les charges de gestion et
d’exploitation... c’est une fameuse responsabilité... Vous ne voudriez tout de
même pas vous décharger de vos devoirs et refiler ces problèmes inextricables à
de pauvres indigènes pour qui la survie quotidienne est déjà un casse
tête... »
-« Vu comme
ça... en effet... ils ont bien de la chance ces indigènes de pouvoir vivre à
l’état naturel sans même devoir se faire de souci pour l’exploitation de leurs
terres... »
-« Mais nous
aussi on a de la chance – intervint le prix Nobel de médecine qui avait
récemment mis au point le premier utérus artificiel – d’ores en avant nous
allons pouvoir incorporer nos bébés dans notre vie courante, dès leur
conception nous allons pouvoir les observer dans leur utérus en polyester, ils
vont grandir sous nos yeux, on va pouvoir les choyer comme nos cactus ou nos
poissons exotiques... Et quel soulagement pour les mamans : plus d’envies,
plus de nausées, plus de vergetures, plus de baisse de rendement au boulot...
D’ailleurs, mais ceci est une avant première... mon laboratoire et moi-même
sommes heureux de pouvoir vous annoncer que nous avons mis au point un utérus
artificiel transparent... Oui, c’est ça : vous allez pouvoir observer
votre bébé de visu... comme dans un bocal... »
-« Pauvres
indigènes dans leurs forêts tropicales... – dit une secrétaire qui assurait la
traduction simultanée – quelle chance qu’on va raser les forêts tropicales,
comme cela eux aussi ils vont avoir accès aux utérus transparents... »
-« Messieurs,
Messieurs, nous divaguons, revenons à nos moutons... - insista le
ministre de la Santé on en est encore toujours à la surpopulation
actuelle... »
-« Ecoutez
Monsieur le Ministre – dit tout d’un coup le directeur d’un vieux laboratoire
dont on avait oublié jusqu’au nom – Il y a belle lurette qu’on y pense à votre
problème de surpopulation, mais si vous continuez à couper notre budget, on
prend du retard... on manque de moyens Monsieur le ministre... ça fait
cinquante ans qu’on dissémine les produits cancérigènes, les additifs
alimentaires, les cigarettes, le café, l’alcool, les drogues, les pollutions,
les retombées radioactives, tout ça existe, c’est là, ça fonctionne mais ça ne
va pas vite, il faut de la patience... Ca fait cinquante ans qu’on dit au gens
que pour être beaux ils doivent être bronzés, le mélanome ça fonctionne, mais
il faut le temps... Ca fait trente ans
qu’on a lancé le SIDA, mais là aussi il faut de la patience... Les virus comme
le SARS, on sait que ça marche. Maintenant on a lancé depuis quelques années les téléphones
portables mais là aussi il faut de la patience... on sait bien que les ondes
magnétiques provoquent des tumeurs dans le cerveau et rendent les hommes
stériles, mais ça ne va pas du jour au lendemain. Rome non plus n’a pas été
bâtie en un seul jour... C’est aussi la rançon de la démocratie, le libre
arbitre, la liberté de conscience. Il y a des gens qui veulent manger
bio ? bon, d’autres qui ne boivent pas d’alcool ? bon, d’autres qui
ne veulent pas de téléphone portable, bon... la liberté de choisir c’est un
choix étique dont je me réjouis, mais la qualité a un prix... et ce prix c’est
qu’il faut donner du temps au temps... »
Voilà, ce n’était
qu’une simple question de temps... et quand les choses commencèrent à bouger,
c’est à dire quand on commença à voir que les choses bougeaient alors tout se
précipita à une allure exponentielle. Les gens commencèrent à se demander ce
qui se passait quand il se rendirent compte que dans la page nécrologique de
leurs journaux il y avait plus de jeunes que de vieux... et les jeunes qui
survivaient avaient des comportements de plus en plus bizarres...
-« Ils sont
cinglés ! »- disaient les uns.
-« Mais non,
c’est des jeunes, ils s’amusent... » - dirent les autres.
Toujours est-il qu’au
delà d’un certain degré de bizarrerie dans le comportement il a fallu rouvrir
les asiles que dans le temps on appelait « de fous ». Les enfants
étaient touchés, mais surtout les adolescents et les jeunes adultes qui
affluaient dans les hôpitaux. Mais même le personnel des hôpitaux se retrouvait
à l’hôpital non pas comme soignants mais comme patients.
-« Où est le docteur
Machin ? »
-« Il est aux
soins intensifs, non, non pas pour soigner les autres, mais pour lui-même être perfusé,
monitoré, trachéotomisé... »
Et puis le personnel
soignant manqua et plus personne ne fut capable de faire fonctionner les
machines, les respirateurs, les couveuses, les scanner... ni même les fraises
des dentistes...
-« Engagez-moi
des médecins indiens et des infirmières philippines ! » - dit le
substitut du ministre car le ministre de la santé était, lui aussi, décédé.
Mais la crise du
personnel était générale, Singapour, Honolulu, Tuvalu, Kiribati, Kitts and
Nevis... tout, tout, tout partout... tous ceux qui en avaient eu les moyens
avaient acheté des limonades pleines d’arômes cancérigènes, des caleçons en
fibres synthétiques qui rendaient stériles, et des téléphones portables qui
causaient des tumeurs... Impossible de laisser partir le peu de personnel
soignant qui survivait encore... Et par manque de soins il y avait
recrudescence des ebola, malaria, tuberculose et autres dysenteries.
-« Alors, tous
les vieux médecins, infirmières, aides soignants, assistants, gardiens de
prisons, protection civile... tout ce qui porte un uniforme... mobilisés dans
les hôpitaux... » décréta le ministère de la défense nationale qui ne
savait plus où donner de la tête contre cet ennemi invisible.
-« Vous voyez
que mon parti a eu raison de faire voter la loi permettant
l’euthanasie ! » - s’exclama un parlementaire en pleine session.
-« Ah !
voilà, vous l’admettez ! – s’écria un membre de l’opposition – c’était une
sombre machination de votre part, c’est un complot ! une
conspiration... » puis il se tut car il manquait d’air lui-même... et
d’ailleurs même au parlement il y avait de plus en plus de fauteuils vides...
cela allait permettre un renouveau, un bol d’air frais, une nouvelle vague de
forces vives... enfin, des forces qui allaient survivre, à condition qu’il en
restât.
Les choses devinrent
tout à fait étranges quand les derniers ouvriers des centrales nucléaires
arrêtèrent les réacteurs par manque de personnel et que, à partir de ce
soir-là, il n’y eut plus d’électricité... plus de machine à café, plus de lampe
allogène, plus d’@mail ni de laptop... plus de portes de garages automatiques
et donc plus de voitures et plus de trams non plus... tout le monde à pieds
avec les dernières piles électriques et puis plus de piles non plus et le
retour de la lune et des étoiles...
-« C’est
magnifique – disaient les gens en regardant le ciel étoilé- comme c’est
beau ! on dirait New York vu d’en haut avant d’atterrir à l’aéroport
Kennedy... De toute beauté ! »
On ne parvenait même
plus à expliquer aux enfants comment New York avait été parce que sans
électricité, plus de vidéo recordeur non plus, ni de dévédé...
Les entreprises de
pompes funèbres avaient d’abord cru que cela allait être leur affaire du siècle
mais très vite on se rendit compte qu’on ne parvenait plus à suivre... Alors on
organisa des ensevelissements collectifs, jour et nuit, en haute mer avec un
hélicoptère funèbre pour le plus grand bonheur des crevettes et du plancton et
donc aussi des baleines qui s’estimaient déjà très heureuses car il n’y avait
plus baleiniers, de pêcheurs, de
hameçons, ni de harpons.
Les chats et les
chiens furent bien embêtés quand ils durent recommencer à chasser pour manger
puisqu’il n’y avait plus personne qui leur servait leur déjeuner de croquettes.
D’ailleurs les usines à croquettes étaient fermées elles aussi. Mais les plus
déconcertés de tous furent les taureaux qui après des décennies d’insémination
artificielle eurent bien du mal à se souvenir du mode d’emploi initial.
Les villes devinrent
dignes des films cow boy, tous ces
grands immeubles vides, clé sur porte, les lits faits, les garde robes pleines,
de l’Armani partout, le dentifrice encore étendu sur les brosses à dents... il
n’y avait qu’à entrer et s’installer, servez-vous Messieurs-Dames... une
rivière de diamants Cartier ? une parure de perles sauvages Van Cleef et Arpels ? Plus personne ne
voulait de montres pas même de Philippe Patek, ni de Piaget Audemars :
plus personne n’était pressé puisqu’il n’y avaient plus de bus, ni de trains,
ni d’avions et même plus de jet privés. Vous en voulez un de jet... y a qu’à
prendre, l’astuce c’est qu’on ne trouve plus d’équipage qui aille avec. Quelqu’un veut finalement son Van Gogh... pas
de problèmes... le problème c’est qu’il n’y avait justement plus personne... Il
faut bien avouer que les congélateurs et les frigos sans électricité ne
sentaient pas bon... mais il suffisait de ne pas les ouvrir...
C’était un peu déconcertant
après tous ces efforts qu’on avait fait
pour construire les mystères de la Cathédrales de Chartres et celle de Tournai
avec ses cinq clochers et quatre sans cloches et Vézelay et les cloîtres de
Cluny et Maredsous et le Monasterio de Santa Maria la Real de las Huelgas de
los Reyes de Burgos... tout ça devenait du roman de fiction et du gothique
fantôme comme au Far West , il n’y avait plus une âme pour réciter le chapelet,
ni même un ave, ni même un acte de contrition... La contrition, plus personne
ne savait ce que c’était car depuis bien longtemps le mot avait été mis à
l’index. On avait rouvert l’index spécialement pour elle et depuis qu’il avait
été défendu de défendre, la contrition était devenue le dernier survivant d’une
espèce disparue, un unicum censuré, enfermé à double tour derrière les portes
blindées du silence et tout naturellement elle était tombée dans le gouffre
noir de l’oubli. D’ailleurs tout comme le duet des fleurs de Lacmé, la danse
des heures de Ponchielli et le XXXV, 22 de Fernando Sor... le néant...
En réalité il fallut
peu de temps pour arriver à un statu quo équilibré : il ne resta plus que
des grands parents très vieux et des tout petits enfants très petits... et les
grand pères se mirent à s’occuper de leurs arrières arrières petits enfants. Ce
qui était extra pour les petits enfants car les grand pères ne racontaient pas
d’histoires de play station, ni de ninja, ni de mandrake... C’était excellent
aussi pour les grand pères qui se mirent à se creuser la cervelle et presser
les méninges pour aller repêcher dans le bon vieux temps les histoires de
Blanche Neige et Chaperon Rouge...
Et puis il y avait,
tout à fait intactes car depuis belle lurette il n’y avait plus personne qui
avait lu, les immenses bibliothèques pleines
de beaux livres et de superbes histoires illustrées de dessins magnifiques et
de photos de comment le monde avait été et au milieu de l’hécatombe tous ces
bons écrivains plus vivants, plus rayonnants que jamais ! ça alors, qui l’eut jamais cru...
Et bien un de ces
vieux grands pères qui, il y a vraiment très longtemps, avait été un alpiniste,
se souvint que pendant une expédition dans les lointaines montagnes Orientales
il avait rencontré une tribu tout à fait primitive qui vivait au gré des saisons,
à l’écart du monde et alors il avait pensé :
-« Vain
Dieu ! le pied ! pas d’ordinateur, pas de boulot et pas de percepteur
des impôts... »
Alors, ce grand père
prit son arrière petit fils par la main et ils se mirent en route par les
sentiers et les chemins et ils marchèrent, marchèrent, marchèrent, direction
plein Est pour aller demander à son ami de la tribu lointaine des leçons de
retour aux sources. Ils n’eurent même pas besoin de boussole car tous les
pollueurs étaient morts et il n’y avait plus de pollution et donc du soleil
tout le temps.
Ils ne marchèrent pas
si longtemps, somme toutes, car le grand père qui était jardinier de son état
avait couru toute sa vie derrière une tondeuse et cela lui avait fait une belle
jambe et il en avait gardé un bon pas. Et donc, ils arrivèrent bientôt du côté
de Shimshal et quand ils entrèrent au village son ami vint à leur rencontre en
disant :
-« Je savais
bien que tu serais revenu... »
Alors ils s’assirent
autour d’un feu de bois de mélèze avec une écuelle de lait de chèvre, une miche
de pain de seigle et un vase de miel d’armoise qui là-bas s’appelle burzé et le
grand père raconta toute l’histoire depuis le début. Son ami l’écouta
attentivement en penchant la tête pour mieux réfléchir et quand le grand père
eut fini son histoire, son ami réfléchit encore un moment et puis il secoua la
tête, comme ça, un peu de gauche à droite et puis il dit :
-« Ca m’a l’air tout à
fait le plus normal du monde... C’est une vielle loi de la nature : quand
dans un troupeau il y a trop de bêtes, elles prennent la maladie et puis 95 %
meurt et puis, après quelque temps les 5% restants qui sont les plus forts et
les moins bêtes, ils effacent tout et puis ils recommencent... depuis le
début... »
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